Il y a quelques jours, Zul, alias Sylvain Estadieu, est devenu le premier homme à traverser la Manche en papillon ! Nous sommes fiers et admiratifs devant une telle performance ! Il a en effet nagé pendant 16h42 dans une eau à 16°C. Nous avons pu interviewer Sylvain après sa traversée, voici ses impressions. Bonne lecture !
Sylvain, raconte nous ta traversée, comment ça s’est passé ?
Dur dur. Je ne me rappelais pas que c’était dur comme ça. Trois semaines après, le sentiment de difficulté s’atténue, mais je sais que pendant la moitié de la traversée je n’en revenais pas de combien je galérais. Le corps pouvait continuer à nager en automatique, mais mon cerveau me sommait d’arrêter … et j’ai été très proche de céder à plusieurs reprises. Je suis super content d’avoir réussi à rejoindre la France, pas trop déçu ne pas avoir pû descendre le record (juste 2h30 de plus, des broutilles !). Vu le nombre de pensées négatives passées dans ma tête pendant que je nageait, je ne peux être que satisfait.
A propos des conditions météo, étaient-elles optimales ou au contraire défavorables pour ton défi ?
Nous avons dû attendre une douzaine de jours que les conditions s’améliorent. Trop de vent pendant la première semaine et demie. Nous sommes donc passés sur des marées à forts coefficients (vives-eaux). Cela peut avoir une influence négative sur la durée de la traversée mais peut aussi avoir comme effet d’aplatir la mer. Au final les conditions ont été plutôt bonnes pendant presque toute la traversée. Je me rappelle de moments où je me fracassais tout de même la tête contre des vagues un peu raides, ce qui a posé quelques problèmes avec mes lunettes, mais la plupart du temps c’était tout bon.
As tu rencontrés des difficultés pendant la traversée ?
Outre les périodes où j’avais du mal à trouver la motivation de continuer, j’ai rencontré quelques petits pépins techniques. Mes lunettes ont commencé à se remplir d’eau après une petite demi-heure. Je devais les réajuster bien trop souvent. Je ne comprenais pas le problème, vu que cela ne m’était pas arrivé pendant l’entrainement. Il s’avère que mes lunettes commençaient certainement à se faire vieilles et que j’avais descendu mon bonnet tellement proche de mes yeux que celui-ci soulevait légèrement les lunettes et entrainait une entrée d’eau. J’ai finis par changer de lunettes après 3 ou 4 heures (ou serait-ce 5 ou 6, je ne me rappelle plus). J’ai aussi eu quelques problèmes de digestion. Mes ravitaillements sont plus concentrés que la moyenne, même parmis les nageurs de longues distances. Cela s’était passé sans problème la première fois, mais ce coup-ci (couça) j’ai commencé à me sentir mal après 5 ou 6 heures (ou serait-ce 7 ou 8, je ne me rappelle plus). Après un ravitaillement en particulier, je repars pour dix mouvements de bras, m’arrête puis commence à incontrolablement nourrir les poissons. Mon équipage arrange un ravitaillement de secours quelques minutes plus tard, à savoir, pour la première fois, un ravitaillement solide : un sandwich au fromage, sans la croute. A partir de ce moment-là, la moitié de mes ravitaillements sont solides avec notamment d’autres sandwiches au fromage, jambon, brioches et … petits pains au chocolat ! Oh la la !
La trajectoire de ton parcours forme une sinusoidale, quelle distance réelle as-tu nagé ?
Oui, une jolie sinusoïde, hein ? A peu près la même amplitude qu’il y a quatre ans vu que les coefficients de marées étaient à peu près équivalents. C’est une question qui revient souvent : pourquoi ce n’est pas une ligne droite ? Le pilote vise un point d’arrivée plus ou moins précis, dès le départ, mais doit prendre en compte les changements de marées. Toutes les six heures environ les courants de marée vont s’inverser. Six heures vers le sud-ouest, six heures vers le nord-est. Comme si une grosse rivière changeait de sens trois fois par jour. Ceci est la raison pour la forme de la trajectoire. Après on peut s’amuser à mesurer la distance « parcourue ». Dans mon cas, 64 km en 2009 et 67 km cette année. ATTENTION : cela ne correspond pas à la distance NAGÉE ! Il me serait impossible de nager 67 km en 16h42 en papillon (vitesse moyenne de 4,01 km/h …. hahahahahahahaaaa !). La véritable distance nagée est bien plus proche de la distance à vol d’oiseau (environ 35 km, même en n’atterrissant pas sur le Cap Gris Nez). Il est quasi-impossible d’avoir une idée précise de vraie distance nagée à moins de connaitre vraiment à tout moment la force des courants au point où on se situe. Il me semble que le pilote ne récolte pas tant d’information. Donc, pour répondre à la question : je pense avoir nagé entre 35 et 40 km. Certainement pas plus de quarante.
Pour tenir une telle distance en papillon tu as une fréquence particulière, comment l’as tu déterminé, et comment peut-on la comparer avec la fréquence en natation course ?
Ma fréquence en pap’ est le produit de deux années d’expérimentations que ce soit en piscine ou en eau libre. Durant de longues séances, je tentais de ne pas diminuer ma fréquence d’un bout à l’autre de la séance. Au début de la saison ma fréquence devait être aux alentours de 20-22 coups de bras par minute et j’ai pû augmenter petit à petit en essayant toujours d’être le plus régulier possible sur chaque séance.
Tu as attendus une semaine et cette traversée a failli être annulée à cause des caprices de la météo, à quel niveau cela a joué sur cette traversée aussi bien au niveau morale que physique et dans quel état d’esprit t’es tu retrouvé lorsque le temps s’est éclaircie et que une date de départ a finalement été retenue ?
La première semaine a été dure. Nous nous attendions à pouvoir avoir une possibilité de démarrer la traversée dans les premiers jours, aux vues de la météo … mais ce n’est pas pour rien que nous ne sommes pas considérés comme des experts et que louer les services d’un pilote expérimenté coûte un des bras de Michael Phelps. Le moral faisait des vagues si l’on peut dire … Par contre, une fois le feux vert donné, je faisais des bonds dans tous les sens jusqu’à deux minutes avant le départ, moment où je commençai enfin à ressentir le stress auxquel je m’attendais. Physiquement, cela faisait déjà plusieurs semaines que mon entrainement avait diminué … j’ai juste continué à faire des séances quotidiennes de 30 minutes à 2 heures.
Y-a-t’il eu des imprevus malgré la longue préparation ?
A part l’histore des ravitaillements trop concentrés et des lunettes farceuses, pas vraiment.
Quels seraient tes conseils pour celles et ceux qui veulent tenter eux aussi de traverser la manche ?
Prendre le temps d’une bonne discussion en personne avec une personne qui a déjà fait la traversée, il y a tellement de choses à apprendre avant d’entreprendre une traversée que j’aurais vraiment du mal à en nommer juste une poignée. Il y a beaucoup de gens avec beaucoup d’expérience, et ils/elles sont généralement très contents d’assister les aspirants Channel Swimmers.
On raconte qu’il faut prévoir de prendre 10kg avant d’envisager une traversée, est-ce que cela a été ton cas, et surtout est-il facile de perdre ces kilos après la traversée ?
J’étais à chaque fois assez maigrelet un an avant mes traversées. 70-72 kg pour 1m80. Je suis monté à plus de 85 kg la première fois et environ 80kg pour la traversée en papillon. Il y a eu du muscle et du gras, je ne saurais pas donner le ratio. Il peut être difficile de prendre du poids tout en s’entrainant pendant dix, vingt voire trente heures (!) dans la semaine mais les kilos en plus peuvent faire la différence. Ce qui est également très important est de s’exposer au froid autant que possible, à savoir porter le moins de vêtements possible, surtout en hiver, baisser le chauffage et se forcer à faire des séances dans des eaux plus froides que la Manche. L’exposition régulière au froid est à mon sens plus importante que la prise de poids volontaire par gavage, tant sur le plan du mental que sur le plan physiologique.
Tu nous parlais d’un projet top secret de nage que tu comptais faire après ta traversée, on est curieux peux tu nous le dévoiler ?
Ah oui, celui-là … désolé de vous décevoir, mais il ne prendra pas place … ou plutôt il n’a pas pris place. Ca va vous paraître un peu arrogant, mais mon projet, à la base, n’était pas de juste faire la traversée de la Manche en papillon … mais une fois arrivé en France, de faire demi-tour et rejoindre l’Angleterre en crawl. Comme vous avez pu le voir, ça ne s’est pas passé ainsi. Après quelques heures de nage seulement, je me suis déjà mis en tête que je n’avais aucune chance de faire le retour. Je l’ai annoncé à mon équipage à la moitié de la traversée et ils m’ont simplement ignoré. J’ai eu tellement de moments où je ne pensais pas être capable de terminer la traversée en papillon que le fait de toucher les falaises du Cap Blanc Nez (à deux mains) m’a fait relâcher toute ma tension et que je ne me voyais capable de continuer uniquement en étant menacé à l’aide d’un fusil. Brefouille, j’ai trop cogité depuis le début de la traversée, et j’aurais dû bloquer toute ces pensées négatives de manière plus efficace si j’avais voulu arriver au bout du bout de mon projet. Le fait que je commençais à trembler en nageant et n’arrivais plus à faire pipi ont été des raisons de plus pour m’arrêter malgré les encouragements de tout mon équipage, bless them.
Beaucoup de nageurs sont surpris de ton exploit car ils ont du mal à aligner plus de 100m en papillon en grand bassin. Quel est donc ton secret si il y en a un ?
En trois mots : ralentir la nage. Et si ça ne marche pas, quatre mots de plus : VRAIMENT ralentir la nage !! Il y a un gouffre entre nager à 25 coups de bras par minute et 35 cdb/min … et ensuite un triple Grand Canyon entre ces chiffres et les fréquences de bras pour des 50 ou 100m papillon. Penser à aller assez profond et bien marquer l’ondulation (elle aussi ralentie) sont d’autres pointeurs utiles. Personne ne me croit quand je dis que le papillon de longue distance, en eau froide, dans les vaguelettes, etc. est accessible à tous, mais c’est vraiment le cas. Ca ne marchera pas forcément la première ni la douzième fois, mais tout est affaire de persévérance. S’il ne devait y avoir qu’un message derrière ma traversée, ce serait celui-ci : fixez-vous un but et persevérez. Ensuite, bien sûr, je vous propose d’avoir des objectifs un peu plus intéressants et/ou utiles que le mien !
A ton arrivée, est ce que les croissants étaient frais…?
J’ai reçu des pains au chocolat avant la fin, pas frais, mais probablement dans le top cinq des meilleures patisseries que j’ai eu l’occasion de goûter !
Encore bravo pour ton exploit, et fais nous signe si tu passes à Paris nous sommes je pense nombreux à être enthousiastes à l’idée de pouvoir trinquer avec toi !
Cheers ! Et merci encore pour tout votre soutien et particulièrement à ceux qui ont donné à mes deux associations en achetant des bonnets. (Il est toujours possible de donner ses pièces jaunes !) Je suis vraiment très touché et ai très hâte de pouvoir passer à Paris pour vous voir 🙂
Nous avions également interviewé Sylvain juste avant sa traversée de la Manche, lire la présentation de Sylvain Estadieu.
Photos de Donal Buckley – loneswimmer.com.